Il y a 50 ans, le 30 janvier 1972, se déroulait un des épisodes les plus violents de l’histoire nord-irlandaise : le Bloody Sunday.
Lors d’une manifestation pacifique à Derry/Londonderry, organisée par une association nord-irlandaise pour les droits civiques (Nicra), 13 manifestants catholiques se font abattre par l’armée britannique. Un quatorzième décèdera des suites de ses blessures quatre mois et demi plus tard.
Parmi les victimes, il y avait 7 adolescents.
Ce « Dimanche Sanglant » a ravivé les tensions entre catholiques et protestants, aboutissant à une multiplication des attentats et des représailles durant les Troubles. Avec des répercussions palpables encore aujourd’hui.
Une marche non-violente… mais sous haute surveillance
Face à la violence qui augmente en Irlande du Nord, les Britanniques décrètent la loi sur l’internement le 9 août 1971. Concrètement, cela signifie qu’il est désormais possible d’emprisonner quelqu’un sans avoir besoin d’un jugement en ce sens.
Si cette mesure vise surtout le groupe paramilitaire de l’IRA, tous les catholiques républicains se sentent concernés. En effet, depuis plusieurs années, ils sont arbitrairement discriminés notamment au niveau de l’attribution des logements publics, de l’accès à la justice ou de l’emploi.
C’est donc pour protester contre la loi sur l’internement que la Nicra souhaite organiser une marche non-violente, malgré l’interdiction de tous les défilés et autres manifestions depuis le début des Troubles.
Informées de ce projet, les autorités britanniques finissent par l’autoriser, mais en modifiant le tracé. Leur objectif : cantonner la marche dans la zone catholique de la ville, afin d’éviter qu’elle n’atteigne le siège du conseil de la cité de Derry comme le souhaitent les organisateurs.
Le Jour J, des barricades encadrent le parcours. Sur place, un régiment de parachutistes est déployé pour maîtriser d’éventuels émeutiers.
À 14h45, la marche débute, rassemblant près de 20 000 personnes.
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Des tirs à balles réelles sur un petit groupe de jeunes non armés
Lorsque le cortège arrive dans le quartier du Bogside, un groupe d’adolescents décide de suivre le tracé initial et commence à s’opposer aux soldats.
Un affrontement très courant à cette époque. Celui-ci est d’ailleurs de faible intensité. Aux insultes succèdent les jets de pierre, entraînant une riposte militaire faite de gaz lacrymogènes, de balles en caoutchouc et de canons à eau. Certains émeutiers se cachent alors derrière des tôles ondulées pour se protéger.
C’est alors que tout dérape lorsque la brigade de parachutistes décide d’ouvrir le feu. À balles réelles. Les blindés pénètrent dans Rossville Street et massacrent des innocents, la plupart du temps en leur tirant dans le dos.
Un cauchemar qui aura des conséquences, comme l’incendie de l’ambassade du Royaume-Uni à Dublin, la défiance envers l’armée britannique ou l’augmentation des effectifs de l’IRA.
Sur la seule année 1972, plus de 500 personnes meurent suite à la véritable guerre civile que se livrent les deux communautés.
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La liste des victimes
- John (Jackie) Duddy (17 ans). Tué d’une balle dans le dos alors qu’il traverse Rossville Street en courant.
- Patrick Joseph Doherty (31 ans). Abattu par-derrière alors qu’il cherche à se protéger.
- Bernard McGuigan (41 ans). Il meurt d’une balle tirée à l’arrière de sa tête en voulant porter secours à Patrick Doherty.
- Hugh Pious Gilmour (17 ans). Il est en train de s’enfuir quand une balle l’atteint en pleine poitrine ;
- Kevin McElhinney (17 ans). Il rampe pour se mettre à l’abri. Il a été abattu par-derrière.
- Michael Gerald Kelly (17 ans). Il reçoit une balle à l’estomac.
- John Pius Young (17 ans). Il décède d’une balle en pleine tête.
- William Noel Nash (19 ans). Il porte secours à une personne touchée quand il a reçoit une balle dans la poitrine.
- Michael M. McDaid (20 ans). Il est frappé par une balle dans le visage alors qu’il s’éloigne.
- James Joseph Wray (22 ans). Blessé et couché sur le sol, dans l’impossibilité de bouger ses jambes, il est abattu à bout portant.
- Gerald Donaghy (17 ans). Mortellement blessé à l’estomac en courant pour se mettre à l’abri.
- Gerald (James) McKinney (34 ans). Atteint à la poitrine en fuyant et en criant « Ne tirez pas ! ».
- William Anthony McKinney (27 ans). Il essaie d’aider Gerald McKinney lorsqu’il est tué.
- John Johnston (59 ans). Il est le premier touché, un quart d’heure avant la fusillade, alors qu’il rend simplement visite à un ami. Il ne se remet pas de ses blessures et décède 4 mois et demi plus tard.
14 autres personnes ont été blessées (12 par balles et 2 par des véhicules militaires). Parmi elles, 5 ont été touchées dans le dos.
Un long combat pour la vérité et la justice
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À l’issue du drame, chacun a une version différente : certains disent que les parachutistes ont dû réagir aux tirs de l’IRA, tandis que les autres considèrent que les soldats ont volontairement tiré sur un rassemblement pacifique.
Le gouvernement britannique soutient la première option, validée par une enquête effectuée à la hâte. Elle souffre pourtant de failles évidentes : aucune arme n’a été retrouvée sur place, les victimes n’avaient pas de traces d’explosifs, aucun soldat n’a été tué ou blessé…
Le 16 mai 1997, un documentaire réalisé par Lena Ferguson et Alex Thomson, et diffusé sur Channel 4, jette un pavé dans la mare : de façon anonyme, 4 soldats avouent que les parachutistes ont tiré dans la foule, sans viser de cibles identifiées et hostiles.
En 1998, face aux critiques croissantes, Tony Blair diligente une nouvelle enquête qui dure jusqu’en 2004, compilant 1555 témoignages écrits et 21 auditions de témoins. Plusieurs soldats admettent avoir menti et précisent que leurs victimes étaient désarmées.
En 2010, David Cameron reconnaît officiellement la culpabilité des militaires britanniques. Il présente alors des excuses en bonne et due forme.
En 2022, Boris Johnson évoque un « Jour Noir » en parlant du Bloody Sunday, mais il ravive les tensions en envisageant un projet de loi d’amnistie, ce qui empêcherait toutes les poursuites et recherches autour de cette tragédie.
Le « Dimanche Sanglant » vu par les artistes
La férocité du Bloody Sunday a laissé une profonde empreinte dans la mémoire collective.
Les artistes se sont notamment emparés du sujet :
- « Give Ireland Back to the Irish », une chanson de Paul McCartney et les Wings sortent deux jours après les faits, est immédiatement censurée ;
- la même année, John Lennon diffuse son morceau « Bloody Sunday » ;
- en 1980, le groupe punk de l’Ulster, Stiff Little Fingers chante un titre éponyme ;
- en 1983,U2 publie son album war avec le mythique Sunday Bloody Sunday ;
- en 2002, le film Bloody Sunday de Paul Greengrass revient sur la chronologie de cet événement dramatique.
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