Légendes d’Ecosse : L’histoire de Bride et d’Angus

Bride et Angus par Kate Leiper

Beira était vieille, aussi vieille que le temps lui-même. Elle était la mère de tous les dieux et déesses d’Ecosse et régnait sur le pays en hiver, ce qui lui valut d’être appelée la Reine de l’Hiver dans l’ancien temps. Le relief de l’Ecosse fut créé par Beira, qui érigea les montagnes pour première œuvre, puis leur donna forme, afin que chacune d’entre elles puisse être reconnue de loin. Elle utilisa un marteau pour seul outil, au centre duquel résidait tout le froid de l’hiver. Avec un coup puissant de ce marteau elle pouvait créer de grandes vallées, tandis qu’un coup léger suffisait à geler le sol jusqu’à ce qu’il soit dur comme du fer. Elle était immense et tous ses vêtements étaient gris, à l’exception d’un chapeau à pois sur sa tête.

Elle était terrible à regarder, son visage et ses mains sillonnés de rides profondes creusées par les centaines d’années de sa vie, et sa peau était bleue comme les lèvres d’un mort. Ses cheveux tombaient sur ses épaules, aussi blancs que le plus dur des givres ; ses dents étaient rouges comme la rouille et elle n’avait qu’un seul œil. Elle avait pour servantes huit sorcières qui parcouraient le pays sur le dos de chèvres hirsutes, et qui recouvraient de givre et de glace chaque objet touché sur leur chemin. Beira avait pour fils de nombreux géants ; d’horribles monstres avec des tempéraments aussi terribles que leur apparence, qui se battaient constamment entre eux. Certains d’entre eux étaient cornus, d’autres possédaient plusieurs têtes, tous étaient plus laids les uns que les autres. Il arrivait que Beira se mette en colère contre ces monstres indisciplinés et qu’elle les enferme dans les montagnes qu’elle avait créées, mais ils montaient sur les sommets et se jetaient de grands rochers les uns sur les autres, dont une grande partie est toujours visible à ce jour. La plus haute montagne d’Ecosse (et de toute la Grande Bretagne), Ben Nevis, elle la garda pour elle, et en fit son trône.

Or, il se trouva que Beira avait capturé une belle princesse nommée Bride, et elle lui faisait porter des haillons et travailler dans les cuisines. Beira la traitait avec cruauté afin que la vie de la pauvre jeune fille n’ait aucune saveur. Un jour, elle lui donna la toison d’un mouton brun, puis lui ordonna de se rendre au cours d’eau et de frotter jusqu’à ce que la toison devienne aussi blanche que la neige qui recouvrait le sol. Bride se rendit à un bassin sous une chute d’eau et elle frotta et frotta encore la toison, mais elle eut beau frotter de toutes ses forces, la toison demeura brune. Ce soir là, quand Bride retourna avec la toison brune, Beira se mit en colère et dit,

‘Tu n’es bonne à rien, fainéante !’

Bride la supplia de prendre pitié d’elle, lui disant, ‘J’ai frotté tout le jour, dans l’eau froide et glacée du bassin, mais j’eus beau frotter très fort, la toison demeura brune.’

Beira ne possédait aucune pitié dans son cœur froid comme la glace, et dit à la jeune fille, ‘Tu retourneras au même bassin demain pour la frotter, et si ne la retournes pas blanche comme neige alors tu y retourneras le jour suivant, et tous ceux d’après jusqu’à ce qu’elle soit blanche.’

Bride alla se coucher et pleura.

Un jour, alors que Bride pleurait et frottait la toison dans le bassin sous la chute d’eau, un vieil homme avec une longue barbe grise vint jusqu’à elle et dit, ‘Qui es-tu ? Et pourquoi pleures-tu, mon enfant ?’

Bride, les larmes coulant à flots sur ses joues, leva les yeux vers le visage avenant du vieil homme.

‘Je suis la princesse Bride. Je suis prisonnière de Beira, et elle m’a ordonné de frotter cette toison jusqu’à ce qu’elle soit blanche comme neige, mais il n’y a pas moyen de blanchir une toison brune.’

Le vieil homme sourit à la pauvre jeune fille et dit, ‘Je suis désolé pour toi, ma chère.’

‘Qui êtes-vous ?’ demanda Bride, ‘Et d’où venez-vous ?’

‘Je suis le Père Hiver,’ dit le vieil homme, ‘et si tu me donnes ta toison je la blanchirai pour toi.’

Bride tendit la toison au vieil homme, qui la secoua trois fois et de brune elle devint blanche comme neige.

‘Oh, vous êtes si bon, Père Hiver,’ dit Bride, ‘et vous m’avez délivrée de cette tâche impossible.’

Le vieil homme rendit la toison à Bride, puis il tendit l’autre main et lui donna un petit bouquet de fleurs.

‘Prends ces perce-neiges,’ dit-il, ‘si Beira est en colère contre toi donne-les lui et elle oubliera sa rage. Quand elle te demandera où tu les as obtenues, dis-lui qu’elles poussent entre les sapins, que le cresson croît sur le bord du ruisseau, et que l’herbe se dresse à nouveau dans les prairies.’

Bride retourna au château de Beira avec la toison et les fleurs. Quand elle vit Beira elle lui présenta la toison, disant, ‘Voici votre toison brune, que j’ai lavée jusqu’à ce qu’elle devienne blanche comme neige.’

Beira resta silencieuse, son attention portée sur le bouquet de perce-neiges que Bride tenait dans sa main.

‘Où les as-tu trouvées ?’ demanda Beira.

‘Et bien, je les ai trouvées qui poussaient entre les sapins ; le cresson croît sur les bords des ruisseaux, et l’herbe se dresse à nouveau dans les prairies.’

‘Ce sont de mauvaises nouvelles que tu m’apportes,’ dit Beira, visiblement ébranlée.

Beira rassembla ses sorcières, qui déchaînèrent leur furie et anéantirent les fleurs de leur toucher glacial, libérèrent des tempêtes de neige sur le pays pour le recouvrir d’un manteau mortel. Les eaux de l’océan furent battues jusqu’à en bouillonner, et d’immenses flocons de neige vinrent se mêler à l’écume blanche pour aveugler les marins et échouer les bateaux sur les rochers. Le berger se mit au sol et mourut avec son troupeau alors que la tempête faisait rage sur le pays, détruisant tout sur son passage. Mais Bride souriait, car elle savait que Beira, la Reine de l’Hiver, était en train de perdre son pouvoir, et qu’avec l’été viendrait sa liberté.

Beira avait un fils nommé Angus le Toujours Jeune, un jeune homme beau et doux, à l’opposé des géants à têtes multiples que Beira avaient enfantés.

On le nommait le Toujours Jeune car les années ne l’avaient jamais touché, ni l’âge sillonné son visage. Il vivait sur l’Ile Verte, aussi appelée la Terre de la Jeunesse, qui se trouvait à l’Ouest dans l’Océan Atlantique. Là-bas, il passait l’hiver, patientant jusqu’à ce que le temps vienne où sa force grandisse et où il pourrait régner sur le pays à la place de sa mère. Beira savait qu’Angus était destiné à tomber amoureux de Bride dès le premier regard, c’est pourquoi elle avait capturé la jeune fille et l’avait gardée prisonnière, pour l’empêcher de pouvoir un jour rencontrer son véritable amour. Mais Angus la vit dans ses rêves. Il vit sa beauté et sa gentillesse, et son cœur se languit d’elle. Quand il s’éveilla il se rendit chez le Roi de l’Ile Verte pour lui demander conseil.

‘La nuit dernière,’ dit Angus, ‘J’ai rêvé d’une belle jeune fille, assise en pleurs près d’un cours d’eau. J’ai demandé à un vieil homme avec une barbe grise qui se tenait là pourquoi elle pleurait. Il me dit qu’elle était prisonnière de Beira, qu’elle était traitée avec cruauté et que c’était la raison de ses pleurs. Je donnerais n’importe quoi pour la libérer.’

Le Roi de l’Ile Verte dit, ‘La jeune fille que tu as vue était la princesse Bride, et lorsque tu régneras en tant que Roi de l’Eté, alors elle sera ta reine. Ta mère, Beira, le sait et s’efforce de garder la jeune fille loin de toi car si tu épouses Bride, son propre pouvoir s’en trouvera affaibli.’

‘Je souhaite la libérer,’ dit Angus, ‘et vais de ce pas partir à sa recherche, bien que l’on soit encore au mois du loup (février). Je vais emprunter trois jours au mois d’août et ensorceler la terre et la mer afin qu’elles soient calmes, puis j’enfourcherai mon destrier blanc à la recherche de Bride.’

Ainsi, Angus emprunta trois jours au mois d’août et immobilisa la mer, puis il chevaucha jusqu’en Ecosse sur son destrier blanc en quête de Bride. Il ne prit aucun repos, chercha Bride durant tous les jours qu’il avait empruntés à l’été, en vain. Dans ses rêves, Bride vit ses tentatives pour la trouver et la libérer, et son cœur s’enflait de joie et d’amour pour ce beau jeune homme. A chaque pensée pour lui, des larmes chaudes s’échappaient de ses yeux pour venir s’échouer au sol, et d’elles poussaient des violettes, chacune aussi bleue que ses yeux. Quand les trois jours vinrent à leur terme, Beira déchaîna sur Angus un souffle glacé si empli de rage qu’il fut renvoyé directement sur l’Ile Verte. Mais il revint, encore et encore, jusqu’à ce qu’un jour il vit Bride, assise dans une clairière dans une forêt, entourée de violettes et de la douce et délicate beauté des primevères jaunes. Il la prit dans ses bras et dit,

‘Ma Demoiselle, je vous ai vue dans mes rêves, pleurant des larmes amères de chagrin.’

‘Et je vous ai vu dans mes rêves,’ dit Bride, ‘chevauchant par dessus les montagnes et à travers les vallées sur votre destrier blanc, à ma recherche.’

Et dès lors la terre sembla se réchauffer sous leurs pieds, et les oiseaux chantèrent leur joie depuis les branches des arbres. Et alors que les deux amants s’émerveillaient, la Reine des Fées vint à eux avec ses servantes et passa sa baguette au-dessus de Bride, qui fut transformée par la gloire de l’été. Elle rayonnait de beauté, tel un rayon de soleil à travers les nuages, et ses longs cheveux bruns et dorés qui cascadaient jusqu’à sa taille étaient parés de perce-neiges, de violettes, de marguerites et de primevères ; sa robe en lambeaux était à présent une robe de bal d’un blanc immaculé qui miroitait, incrustée d’argent, et à son cou brillait un cristal transparent. Ils suivirent la Reine des Fées jusqu’à son foyer, où ils furent mariés et où un grand festin fut donné. Partout où les sorcières de Beira avaient gelé l’eau, la main de Bride les transformait une fois encore en flots vivaces et en lacs.

Quand Beira apprit que Angus avait trouvé Bride et qu’ils étaient mariés, la rage s’empara d’elle et elle rassembla toute sa force en son sein. Elle enfourcha son destrier noir, et ses huit sorcières sur leurs chèvres hirsutes à ses côtés, elle prit la direction du foyer de la Reine des Fées. Lorsque les Fées aperçurent Beira parmi les nuages noirs qui s’abattaient sur elles, elle prirent la fuite, terrifiées, pour aller se réfugier dans leurs maisons souterraines et fermèrent les portes à clef. Angus prit Bride derrière lui sur son destrier blanc et chevaucha vers l’ouest, retournant sur l’Ile Verte où ils étaient en sécurité. Maintes fois Angus retourna en Ecosse, pour être de nouveau chassé par Beira et ses sorcières.

Alors que le printemps approchait, Angus réussit à chasser les huit sorcières loin vers le nord à l’aide d’un grand effort. Beira fit appel aux vents glacés pour balayer la terre et la mer, si bien qu’aucun pêcheur ne pouvait s’aventurer en mer pour nourrir sa famille, aucun fermier ne pouvait nourrir ses animaux, qui mouraient de faim. Beira frappa la terre de son marteau et la gela jusqu’à ce qu’elle soit de nouveau dure comme le fer. Elle chevaucha au nord jusqu’à ses sorcières et commanda une dernière charge contre Angus. Beira utilisa ensuite sa magie pour emprunter les trois jours d’hiver qu’Angus avait remplacés avec trois jours d’août, et avec ce pouvoir supplémentaire, elle chassa Angus d’Ecosse. Cette tempête, qui tua de nombreux animaux et hommes, lui coûta les dernières réserves de sa force.

Beira s’affaiblit, et Angus, le Roi de l’Eté, retourna lorsque les jours de Mars furent de longueurs égales. Bride, sa reine, toucha l’eau gelée pour faire fondre les dernières traces de glace, et alors seulement les huit sorcières furent de nouveau plongées dans le sommeil. La force de Beira l’ayant désertée, elle chevaucha son destrier noir jusqu’à l’Ile Verte où elle but au Puits de la Jeunesse et redevint une jeune fille. Au milieu de l’été elle devint une femme, puis alors que l’automne passait elle vieillit de nouveau et sa force grandit jusqu’à ce qu’elle puisse chasser Angus et Bride d’Ecosse et régner de nouveau comme Beira, la Reine de l’Hiver.

Texte original Story of Bride and Angus par Tom Muir, traduit pour notre blog sans but commercial.

L’illustration vient du site internet de Kate Leiper, une artiste et illustratrice d’Edimbourg.

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